Quelques réactions à notre lettre ouverte

Rappelons les faits. Voir notre précédent article pour connaître le début de l’histoire.

– Nos deux propositions à « Scaling Bitcoin » ont été rejetées.

– Le programme de la conférence montre un recoupement entre les membres du comité et les orateurs (trois personnes).

– Le co-auteur du « chair » de la conférence a été invité à présenter leur dernier article.

Réactions folkoriques sur Twitter

Certains membres du comité ont réagi de manière surprenante sur Twitter. Voici un résumé. Pour connaître l’intégralité (mais c’est franchement sans intérêt), il suffit de consulter mon compte twitter.

Ethan Heilman, le « chair » de la conférence a soutenu qu’il s’agissait de pratiques courantes (ce qui est bien sûr faux) et qu’il n’y avait pas lieu de crier au scandale. Il a donné un lien vers une conférence annuelle intitulée « Financial Cryptography and Data Security » où il y a effectivement un recoupement.

Il a oublié de préciser que dans ce cas, et contrairement à « Scaling Bitcoin », la soumission est anonyme. Comme précisé sur leur site, « The regular and short paper submissions must be anonymous, with no author names, affiliations, acknowledgments, or obvious references. » Mis devant cette évidence, il a cessé de répondre.

Paul Sztorc, la personne du comité qui aurait vu l’article s’est spontanément manifestée de manière extrêmement grossière nous proposant immédiatement un rendez-vous sur YouTube pour nous « humilier » en direct. Il est évident qu’il n’est pas question pour nous de participer à une telle farce. Nous lui avons répondu : « Maths is not circus », lui demandant au contraire de nous faire parvenir son rapport sur l’article puisqu’il est d’usage que les « reviewers » écrivent un rapport sur les propositions reçues. Il a alors cessé de répondre, probablement parce qu’il n’a rien écrit. Vu son niveau (affligeant), même s’il a fait l’effort d’ouvrir l’article, je doute qu’il ait pu comprendre quoique ce soit.

Enfin, Peter Rizun qui est orateur au prochain « Scaling Bitcoin » et également « managing editor » de Ledger, une revue scientifique spécialisée sur la blockchain (à ne pas confondre avec Ledger, la start-up française fondée par Eric Larchevêque), nous a invité à lui soumettre notre papier de manière assez particulière : « Please, send us your boring article! ». Assez interloqués par le ton employé par un éditeur qui nous adresse la parole pour la première fois, nous avons cherché à alerter les autres éditeurs de Ledger du comportement pour le moins surprenant d’un des leurs. J’ai aussi voulu attirer l’attention du chancelier de l’Université de Pittsburgh qui édite la revue. Est-ce à cause de cela que finalement Peter Rizun nous a présenté ses excuses même si celles-ci sont pour le moins alambiquées ? Inutile d’en dire davantage.

Il nous paraît donc de toute évidence et aujourd’hui encore plus qu’hier que l’organisation de la prochaine conférence « Scaling Bitcoin » est une véritable farce. Tout se passe comme s’il s’agissait d’une bande de copains qui s’invitent entre eux et se défendent les uns les autres. Par ailleurs, il n’est pas possible de mettre de côté la liste impressionnante de sponsors. Cela saute aux yeux : il y a énormément d’argent en jeu et on peut comprendre que la pression doit être forte de la part de ceux qui veulent monter sur le devant de la scène.

En guise de résumé, je recopie un message de soutien en anglais reçu sur Medium de la part d’un dénommé « Alphonse Pace » que je ne connais pas  :

« Scaling Bitcoin is garbage now. Shame that such a good conference has been hijacked. ».

Et pour finir, aucune nouvelle de l’Université de Stanford qui doit préférer les sous des sponsors au scandale. C’est malheureusement ce que je suis en train de commencer à penser… Make America great again!

Lettre ouverte au président de l’université de Stanford et à la communauté Bitcoin

Ci-dessous la version française d’une lettre ouverte au président de l’université de Stanford et à la communauté Bitcoin. La version anglaise (officielle) est publiée sur Medium.

Le 4 et 5 novembre prochain aura lieu une grande conférence sur le bitcoin donnée à l’Université de Stanford. Il s’agit d’un cycle de conférences organisées chaque année par le comité « Scaling Bitcoin » qui s’est imposé comme une référence parmi toutes les conférences semblables. Fréquenté par une grande partie de l’écosystème bitcoin, c’est l’occasion d’assister aux dernières propositions pour développer encore davantage les possibilités du bitcoin.

Comme son nom l’indique, la conférence est centrée habituellement sur les problèmes d’échelle du bitcoin, sujet sur lequel la communauté n’en finit pas de se diviser et de débattre. Mais les thèmes de la conférence dépassent les seuls problèmes d’échelle. L’accent est mis également sur les problèmes de sécurité, d’anonymat et de fongibilité.

La conférence « scaling bitcoin » est itinérante et a pour principe de changer de continent à chaque fois. Nous étions nombreux à nous réjouir qu’elle ait lieu cette année à l’Université de Stanford après Milan l’an dernier. C’est une juste récompense vu toutes les activités de cette université en termes d’enseignement du fonctionnement des cryptomonnaies et de recherche sur ce thème.

La conférence marque ainsi un rapprochement symbolique entre le monde universitaire qui a longtemps dédaigné le bitcoin et le monde des cypherpunks au sein duquel il a fait la première fois son apparition.

On était donc en droit d’espérer le meilleur du monde académique au service du bitcoin. Or, c’est malheureusement tout le contraire qui est en train de se produire.

Nous avions soumis deux propositions d’exposé. La première était centrée sur l’un de nos articles sorti en février dernier. Cet article revoit et corrige le calcul approximatif de Satoshi concernant la probabilité de double-dépense et, pour la première fois, nous démontrions que cette probabilité tend bien exponentiellement vers zéro en fonction du nombre de confirmations, un résultat souvent annoncé mais jamais démontré. Notre deuxième proposition consistait en une étude de la stabilité des blockchains ; nous souhaitions disserter sur la convergence entre les intérêts privés et les intérêts publics en mettant en lumière des cas possibles d’instabilité jamais véritablement étudiés.

Ces deux propositions ont été rejetées. Nous étions bien sûr surpris et déçus car nous pensions sincèrement que nos travaux qui étudient le cœur du fonctionnement d’une blockchain en apportant des résultats mathématiques concrets avaient de bonnes chances d’être acceptées. Cela n’a pas été le cas. Soit.

Passée la déception d’avoir été rejetés, nous avons par curiosité jeté un coup d’oeil au programme finalement retenu. A côté d’une liste des exposés et des orateurs, se trouve la liste des personnes formant le comité de sélection.

Pour une question d’éthique, on était en droit d’attendre d’une grande institution comme Stanford que ces deux listes soient totalement disjointes. On ne peut être juge et partie. On ne peut pas examiner la qualité de nombreux travaux puis au final décréter que le meilleur, c’est le sien.

Les membres de ce comité de sélection n’ont manifestement pas la même opinion. Parmi les orateurs qui font partie des heureux élus, on compte ainsi trois membres de ce comité. Ils vont donc chacun faire un exposé après avoir examiné et décidé de rejeter les propositions des autres…

Il est possible que le comité se soit divisé les articles reçus et qu’aucun ne de ces auteurs n’ait voté pour lui-même mais seulement pour un de ses collègues, ce qui rend le scandale moins gros ou moins visible. Mais il demeure. Comment peut-on décemment accepter d’être membre d’une telle commission tout en étant force de propositions pour devenir orateur ?

A ces trois « anomalies », on doit en ajouter une quatrième plus sournoise. Le co-auteur du dernier article de celui désigné comme étant le  « Program Chair » de la conférence a été également invité à donner un exposé !

Par ailleurs, mais à ce point, c’est presque anecdotique : le « chair » de la conférence se présente comme un simple « PHD student » sur sa page personnelle, ce qui est surprenant car il s’agit en général d’une personne expérimentée qui se porte garant du bon déroulement des événements et du choix du comité.

Manifestement des règles élémentaires d’éthique scientifique mondialement acceptées n’ont pas ici été respectées. Est-ce que le but de la conférence est vraiment de donner au bitcoin ses lettres de noblesse ou au contraire de faire des petites carrières universitaires sur le dos du bitcoin ?

Au final, on se pose forcément la question : Satoshi Nakamoto aurait-il vraiment été invité par un tel comité de sélection ?

Cyril Grunspan (ESILV, France)

Ricardo Perez-Marco (CNRS, U. Paris VII, France)